Comment savoir qu'une oeuvre est terminée?
Quand un journaliste posa un jour cette question à Jackson Pollock celui çi répondit:
« Comment savez vous quand vous avez fini de faire l'amour? »

Le carré de Victor

Une sculpture en bois formée de deux carrés juxtaposés est restée dans l'atelier pendant plus de six mois jusqu'à ce que Victor son auteur ne  revienne. Il se souvenait parfaitement de ce qu'il avait réalisé et laissé à l'atelier.
Cette sculpture me rendait heureuse, le décalage entre les deux faces, les couleurs vives posées de manières irrégulières. Je la trouvais belle et intéressante.
Tous, nous pensions que c'était terminé,
sauf Victor.
Cette sculpture était déjà très colorée mais Victor décida de rajouter du rouge et encore
du rouge .
Soudain, non satisfait, il recouvrit entièrement son carré de gris devant les regards dubitatifs des deux adultes présents et continua à étaler ce même gris sur une feuille de papier jusqu'au monochrome.

Son geste était très décidé mais Victor cherchait quelque chose, son carré n'était toujours pas terminé. Je voyais bien les regards perplexes autour de lui. Il ne fallait surtout pas lui dire: Victor tu as tout gâché, quel dommage c'était si beau!
  Comment l'aider? Insatisfait il attendait une réponse. Il désirait comprendre ce qui se passait au bout de son pinceau.
Pour le rassurer je décidais de parler le plus simplement possible du carré blanc sur fond blanc de Malévitch, et pour illustrer mon propos j'installais son carré devant sa feuille.
Son regard s'illumina: « Mais oui c'est tout du même gris mais on voit tout de même le carré! Mais tu sais je vais mettre plein de couleurs sur le papier et comme cela on verra encore mieux mon carré! »

Par sa pratique personnelle Victor venait de découvrir le rapport entre le fond et la forme et en  comprendre un élément essentiel: le contraste et la profondeur.

Ce n'est sans doute pas ce qu'il cherchait au départ, mais c'est ce qu'il a trouvé.
Sa satisfaction était entière. Il savait maintenant comment terminer son carré.

Sophie Nédorézoff, décembre 2008